Brest, ORION navigue sans la vue.

Matthieu Noli

Le 27 juillet 1983, un certain H. Decker reliait San Francisco aux îles Hawaii en vingt jours. A priori, rien d'exceptionnel, sauf que ce navigateur était aveugle depuis un an... En France, en dépit de la démonstration du marin américain, aucune structure stable et régulière ne donnait la possibilité de naviguer à des personnes atteintes de cécité. Jusqu'à la création d'Orion par Mathieu Simonnet, en mars 2002. « J'avais besoin d'un thème de stage intéressant pour ma maîtrise de STAPS (1), raconte le jeune étudiant. Peu à peu, je me suis pris au jeu. Et j'avais surtout envie d'être utile. »

Baptisée du nom d'un géant, fils de Poséidon, cette association brestoise offre à des aveugles la possibilité de naviguer dans la rade de Brest, d'octobre à juin, à bord de deux Sprintos prêtés par le Centre nautique. Deux fois par semaine, des équipages de deux ou trois aveugles, accompagnés d'une personne voyante, pratiquent la navigation sportive et s'entraînent à la régate. Ils apprennent à s'appuyer sur des repères comme la gîte du navire, le bruit des voiles qui fasseyent et les sensations d'écoulement de l'eau le long de la coque. Ils peuvent aussi compter sur des cartes marines en relief offertes par l'Institut pour l'insertion des personnes déficientes visuelles (IPIDV), sur des informations concernant la vitesse et le cap fournies par synthèse vocale et sur des informations en braille disposées sur le navire.

Et ça marche ! « Orion, c'est la rencontre entre la passion de Mathieu Simonnet et nos compétences, affirme Bruno Quellec, président de l'IPIDV. Avant de devenir aveugle, j'étais un passionné de moto et il me tardait de retrouver cette sensation de liberté. Quand Mathieu m'a proposé cette idée, j'étais sceptique. Mais, au bout de deux après-midi, j'étais emballé : c'est parfaitement possible ! » Affiliée à la Fédération française handisport, Orion propose aussi à des voyants de s'initier à ce type de navigation avec des séquences les yeux bandés. « Parfois, on se demande pourquoi on se lève le matin. Quand on est handicapé, c'est encore plus souvent le cas, précise Bruno Quellec. Grâce à Orion, je peux être un équipier à part entière sur un bateau. Certains marins me demandent même de naviguer avec eux pendant des régates. En termes d'intégration, difficile de faire mieux ! » Reste que, pour les uns comme pour les autres, ces expériences navales sont autant de défis. « Mais lorsque le bateau accélère et qu'un non-voyant me dit qu'il va pleurer tellement c'est bon, cela me motive pour au moins un an », avoue le fondateur d'Orion

1. Sciences et techniques des activités physiques et sportives.

© le point 26/02/04 - N°1641 - Page 210 - 444 mots