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Récit sur Sirius.

 

Partager des activités avec ceux qui jouissent pleinement de tous leurs sens, ravive sournoisement, chez ceux dont l'image fait défaut, ce sentiment amer que leurs ailes rognées ne leur permettent pas de s'envoler aussi librement que les autres. C'est pourquoi il est bon, de temps à autre, de choisir "SES" moments. Moments privilégiés durant lesquels il est possible de goûter la liberté de faire sans demander, d'agir en connaissance de cause, de décider pour un groupe ou, tout simplement, d'oublier pour un temps, les situations qui rendent la vue indispensable. La pratique du voilier, en équipage, offre cette satisfaction parfois si difficile à saisir.

 

Nom de code: Sirius, taille: huit mètres, type: sloop, habitabilité: 5 places. La mission que j'ai acceptée voilà deux ans, est celle de faire naviguer, dans un maximum d'autonomie, des personnes déficientes visuelles. L'association OrION qui m'emploie, semble jusqu'à présent fort satisfaite de mes services. Mais jugez par vous-même, je vous embarque pour une sortie. En ce mois de mars, la température est un peu fraîche mais le vent de 18 nœuds de secteur nord est parfait puisque notre immense plan d'eau de 150km2 ne présente pas de vague avec ce temps.

Je ne suis qu'un bateau et, bien entendu, ma liberté est soumise à la volonté des marins qui me mènent. Aussi, pendant que Mathieu, le skipper voyant, s'affaire à quelques corvées de ravitaillement, Jean, Arnaud et Bruno s'emploie à tracer la route que nous allons suivre durant la journée. Carte marine en relief, compas pointe sèche, système d'aimant, et quelques connaissances maritimes permettent à ces trois équipiers, de tracer, dans l'obscurité, la route à suivre, les points intermédiaires, la distance de la ballade. Evidemment, le préalable à ce choix fût les prévisions météorologiques données par le sémaphore du Porzic que Arnaud à interroger par radio, à mon bord. Enfin prêts, il est temps de larguer les amarres. Le vent s'est un peu renforcé à 20 nœuds et, toutes voiles dehors, je vais pouvoir répondre aux attentes de mon équipage.

A mon bord, chacun a la liberté d'aller se reposer, de se chauffer un café ou de prendre la barre. Mon espace, limité et donc parfaitement connu de mes passagers, renforce cette sensation d'autonomie qui fait souvent défaut à terre. D'autre part, si je ne parlais pas à mes apprentis marins, il serait comme un navire sans gouvernail, livré aux aléas des flots. En effet, grâce à une synthèse vocale installée sur l'ordinateur de bord et des hauts parleurs en cabine et sur le pont, le barreur ou tout autre membre de l'équipage peut m'interroger sur notre vitesse, sur notre cap, sur le cap à faire pour arriver.

A priori, d'après ce que j'ai pu entendre, si la vue manque parfois, les autres sens sont à l'affût. Le cri des oiseaux de mer bien sûr mais aussi l'empressement des vagues sur les roches ou, lorsque le vent se lève, le sifflement dans les haubans, donnent quelques coups de pinceaux à leur paysage imaginaire. D'autres impressions plus physiques parlent au corps, comme le rayon de soleil qui réchauffe le visage dans une fraîcheur printanière. L'abri de la cabine qui réconforte quand les embruns, voire quelques vagues, éclaboussent le pont. Et puis il y a ce sentiment chaque fois présent, celui de "posséder" le monde quand, tard en soirée, vous êtes le seul bateau à naviguer dans les environs parce que les autres ont, pour des raisons incompréhensibles, préféré la terre ferme. Dans ces moments là, comme lors des sorties sportives avec un vent fort, mon équipage est partie à l'aventure. Ne voyant pas la côte, il l'oublie et s'imagine en plein Atlantique ou dans des passes difficiles à l'autre bout du monde. Comment ne pas rêver quand ont connaît l'emplacement exact de nombreuses épaves qui émaillent l'histoire des côtes bretonnes.

Pour terminer, je vous adresse une carte postale prise après une nuit entière de navigation en mer d'Iroise. Il est six heure du matin, le soleil se lève, au loin on entend le ressac sur une zone de cailloux. Nous nous dirigeons vers le port de l'Aber-Wrac'h, en Finistère nord et le calme qui règne éveille une espèce de plénitude presque irréelle. Entre satisfaction d'arriver à terre et déception d'une fin de voyage, fatigue, vague à l'âme et bonheur se mêlent pour finalement créer un bien être que chacun savoure en silence. Même le bruit régulier du bateau qui s'en va sur des lieux de pêche ne trouble en rien l'atmosphère. C'est juste un élément du paysage !

Sirius et Bruno

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